L‘Union européenne met un terme à son accord de partenariat avec le Cameroun pour non-respect de la gouvernance forestière. La rupture est consécutive à un manque d’engagement de la part du Cameroun, qui n’a pas respecté ses obligations en matière de gouvernance forestière. Cette décision marque un tournant dans la politique forestière de l’UE et envoie un signal fort aux pays partenaires : l’UE ne tolérera plus les manquements à la gouvernance forestière.
Selon un communiqué de l’Union européenne, “malgré les tentatives de l’UE, la République du Cameroun n’a pas été en mesure de remplir ses obligations au titre de l’APV, notamment pour ce qui est de la mise en place du régime d’autorisation FLEGT, qui vise à vérifier et attester au moyen d’une autorisation FLEGT que le bois et les produits dérivés exportés vers l’Union européenne ont été produits ou acquis légalement“. La décision de dénoncer l’accord a été motivée par le peu d’espoir d’assister un jour à la mise en place d’un régime d’autorisation FLEGT, ce qui rend l’accord inutile pour atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de protection des forêts et de lutte contre la déforestation.
La poursuite de l’APV en dépit de ces difficultés pourrait nuire à la crédibilité de l’UE en tant que porte-drapeau à l’échelle mondiale des questions liées à la protection des forêts et à la biodiversité et porter préjudice à l’intégrité des APV en tant qu’instruments commerciaux de l’UE”, a déclaré l’Union européenne. L’accord de partenariat volontaire entre l’Union européenne et la République du Cameroun a été signé en 2010 et est entré en vigueur en 2011. Il visait à promouvoir la gestion durable des forêts et à lutter contre l’exploitation illégale des forêts et le commerce qui y est associé.
La décision de dénoncer l’accord a été approuvée par le Conseil de l’Union européenne et sera notifiée à la République du Cameroun avant le 30 novembre 2024, afin qu’il ne soit pas renouvelé par tacite reconduction. Cette décision marque un tournant dans la politique de l’Union européenne en matière de protection des forêts et de lutte contre la déforestation. L’Union européenne a récemment adopté un règlement sur la déforestation qui vise à limiter la contribution de l’UE à l’exploitation illégale des forêts, à la déforestation et à la dégradation des forêts.
« Nous sommes déterminés à prendre des mesures pour protéger les forêts et à lutter contre la déforestation », a déclaré un porte-parole de l’Union européenne. « La dénonciation de l’accord de partenariat avec le Cameroun est un pas important dans cette direction ». Selon le règlement de l’UE sur la déforestation, « le bois qui fait l’objet d’une autorisation FLEGT est réputé satisfaire aux exigences de légalité ». Cependant, l’Union européenne a estimé que l’accord de partenariat avec le Cameroun ne satisfait plus à cette exigence.
« La dénonciation de l’APV est la solution la plus appropriée afin de mieux contribuer à la mise en œuvre du règlement de l’UE sur la déforestation et de préserver la crédibilité et l’intégrité de l’APV en tant qu’instrument commercial de l’UE », a déclaré l’Union européenne. Cette décision est une étape importante dans la lutte contre la déforestation et la protection des forêts, et montre la détermination de l’Union européenne à prendre des mesures pour protéger l’environnement et à promouvoir la gouvernance durable des forêts.
Cette décision montre que l’UE est déterminée à lutter contre la déforestation illégale et à promouvoir une gestion forestière durable. Renforcement de la politique forestière de l’UE : La dénonciation de l’APV s’inscrit dans le cadre d’une stratégie plus globale de l’UE visant à protéger les forêts et à lutter contre le changement climatique. Impact sur le secteur forestier camerounais : La perte de l’accès au marché européen pourrait avoir des conséquences économiques importantes pour le secteur forestier camerounais. « Il est essentiel de continuer à soutenir le Cameroun dans ses efforts de réforme du secteur forestier », souligne un expert en environnement. « Une approche collaborative, basée sur le dialogue et le respect mutuel, sera nécessaire pour trouver des solutions durables. » « Cette décision est un signal fort envoyé à tous les pays partenaires : l’UE ne tolérera pas l’exploitation forestière illégale. »
Elvis Serge NSAA
INTERVIEW
« Ceux qui liront les motivations qui encouragent la partie européenne à dénoncer l’APV-FLEGT au Cameroun pourront se dire que le Cameroun est un mauvais élève en matière de gouvernance forestière. Maintenant, c’est à la partie camerounaise de pouvoir démontrer le contraire. »
Justin Kamga, Coordonnateur de l’ONG « Forêts et Développement Rural »
(FODER)
- La suspension potentielle de l’APV-FLEGT pourrait-elle avoir des conséquences sur les efforts de conservation de la biodiversité au Cameroun ? Comment expliquer ce lien ?
Ce projet de suspension de l’APV-FLEGT pour ce qui concerne le cas du Cameroun, bien évidemment pour pouvoir établir le lien avec les pertes de la biodiversité il faudrait revenir un peu sur le pourquoi de l’APV-FLEGT. Il faut dire que, c’est un accord juridiquement contraignant des parties qui s’engagent et c’est un outil qui fait partie du grand ensemble du développement bois que l’on appelle le RDUE. Pour ce qui concerne le cas de l’APV-FLEGT au Cameroun, il faut dire que, son application a quand-même permis à notre pays de connaitre des avancées appréciables en matière de lutte contre la criminalité faunique (exploitation illégale du bois) et en matière d’amélioration de la gouvernance.
Pour le volet qui concerne la lutte contre l’exploitation illégale du bois, il faut dire que si l’APV-FLEGT parvenait à être dénoncé et suspendu, la crainte serait que nous ne puissions pas avoir un levier sur lequel il faudra actionner pour pouvoir dénoncer toutes les actions illégales ou tout ce qui cause la perte de nos forêts due à leur exploitation illégale. Parce qu’il faut le dire, quand il y a exploitation illégale, cela sous-entend que la biodiversité est menacée, il y a donc nécessité de pouvoir mettre sur pied des mécanismes qui au lieu de détruire les forêts, devraient plutôt les conserver et protéger.
- Selon vous, les principales raisons invoquées par l’UE pour justifier sa volonté de suspendre l’APV-FLEGT avec le Cameroun sont-elles fondées ?
Il faut dire qu’on ne peut pas affirmer de manière catégorique si ces raisons sont fondées ou non, car chacun peut, à partir des éléments évoqués, mener sa propre enquête pour vérifier la véracité des informations. Je souhaite donc laisser à chacun la liberté de tirer ses propres conclusions. Cependant, il est important de souligner que l’APV-FLEGT a permis au Cameroun d’obtenir des résultats positifs notables, notamment en ce qui concerne la participation de la société civile à la gestion des ressources forestières et la prise en compte des communautés locales dans ce processus. Je me souviens qu’en 2017, lorsque les communautés ont été exclues de la répartition des revenus forestiers notamment la RFA, l’APV-FLEGT a servi d’outil de plaidoyer efficace pour les pousser à réagir et à obtenir gain de cause auprès du gouvernement afin que celui-ci puisse leur remettre la grille de répartition.
Je pense que, cela montre bien que l’APV-FLEGT a favorisé une dynamique de participation où les acteurs concernés peuvent exprimer leurs opinions, faire des propositions et contribuer à améliorer la gouvernance forestière. Je considère que ces avancées sont significatives et méritent d’être soulignées.
- La proposition d’un « partenariat-forêts » pourrait-elle constituer une alternative viable à l’APV-FLEGT ? Quels en seraient les avantages et les inconvénients pour le Cameroun ?
En l’état actuel, l’on ne saurait parler d’une alternative viable à l’APV-FLEGT parce que, le « partenariat-forêts » c’est un projet sur lequel l’Union Européenne souhaite mettre de l’argent pour pouvoir booster un peu l’économie forestière et pour nous, ça reste quelque chose d’assez pertinent. Toutefois, il faudrait revoir attentivement les contours de ce projet : seront-ils pris en compte des éléments liés à l’amélioration de la gouvernance, tels que la transparence et la participation ? Dans l’état actuel des choses, il est difficile de se prononcer car il ne s’agit que d’une idée. On ne peut affirmer catégoriquement que ce “partenariat-forêts” puisse remplacer de manière fiable l’APV-FLEGT. Il convient d’attendre de voir plus concrètement les propositions de ce partenariat pour pouvoir émettre un avis éclairé, car il est encore en phase de développement.
Cependant, il est important de noter que la gestion des forêts camerounaises demeure une préoccupation centrale de la diplomatie européenne. Il incombe désormais au Cameroun d’évaluer l’intérêt de ce nouveau “partenariat-forêts”.
En effet, notre pays a des besoins spécifiques en matière de gestion forestière. Il est crucial de connaître avec précision la superficie actuelle des forêts camerounaises. Est-ce toujours les 22 millions d’hectares évoqués ? Quel est leur potentiel réel ? Une évaluation approfondie est nécessaire pour déterminer les ressources forestières dont nous disposons et identifier les domaines où un “partenariat-forêts” pourrait apporter une réelle contribution à une meilleure gestion.
- Quelles sont les conséquences potentielles de la suspension de l’APV-FLEGT sur les communautés locales qui dépendent de la forêt pour leur subsistance ?
Jusqu’à présent, on ne pourrait pas avoir les conséquences de la situation de l’APV-FLEGT car ça reste encore un projet potentiel qui doit passer au parlement européen où les débats seront menés. Mais il faut dire que s’il arrive que la suspension soit prononcée bien évidemment que les conséquences font se faire ressentir parce que déjà, les cadres de concertation des parties prenantes qui étaient des cadres de dialogues ne vont plus exister. Ma crainte est donc qu’on se retrouve pour ce qui concerne les forêts, dans un cadre de dialogue unilatéral au Cameroun parce qu’au moins les communautés à travers le comité de suivi de l’APV-FLEGT avaient quand-même un cadre où elles pouvaient s’exprimer, poser leurs doléances, faire le suivi, rencontrer les décideurs, mener leurs actions de plaidoyers et voir les retombées sur leurs vies. Maintenant attendons de voir les conséquences que pourraient avoir la suspension. Mais ce qu’il faut aussi dire c’est que, à côté, l’on note que l’Union Européenne aujourd’hui a introduit un nouveau règlement qui porte sur la déforestation et peut-être encore dans ce cadre-là, l’on pourrait encore revoir le même mécanisme de participation des parties prenantes de soutien à la lutte contre l’exploitation illégale revenir et peut-être revoir aussi avec les communautés comment est-ce qu’elles peuvent également tirer profit de ce nouveau règlement.
- Comment concilier les objectifs de conservation de la biodiversité avec les besoins socio-économiques des populations locales ?
Aujourd’hui il faut dire pour ce qui concerne la conservation de la biodiversité avec les besoins socio-économiques des populations locales, que cela reste une préoccupation majeure face au modèle de conservation qui pendant longtemps a été vulgarisé. Déjà, la conservation qui jusque-là est connue a été le type à pouvoir exclure les communautés autour des aires de conservation. Nous savons tous que les forêts sont des lieux où les populations riveraines vont pour prélever de quoi se nourrir, se vêtir, se soigner… et comme le disait quelqu’un « c’est un supermarché pour eux ». Donc, venir aujourd’hui, parce que l’on veut préserver les animaux les exclure de leur « supermarché », je crois que nous créons aussi des frustrations qui font qu’aujourd’hui les communautés vont maintenant se lancer dans des activités de braconnage et détruire tout ce qu’il y a comme potentiel de biodiversité qui existe or pour nous il est question de voir dans quelle mesure mettre les communautés au centre de la conservation, identifier ce qui pourrait être des besoins écosystémiques pour ces communautés, des besoins importants pour les celles-ci dans la biodiversité et les emmener à pouvoir développer leurs activités en tenant compte de la durabilité de la ressource qui existe. Ce qu’il faut relever c’est que pendant longtemps les communautés ont vécu avec la faune et il n’y avait pas de problèmes car elles savaient prélever et avaient quand-même les notions de la conservation : elles savaient qu’elles ne devaient pas tuer un animal qui est gestant ou qui est tout petit. Bref, il y a ces notions de conservation qui existe et d’assurer la durabilité de la ressource. Alors, si aujourd’hui nous voulons avoir une conservation de la biodiversité réussie, mettons les communautés au centre, encore d’avantage parce qu’elles vont prélever les produits forestiers non ligneux dans ces zones pour leur propre subsistance. On peut donc par exemple réglementer l’accès, leur donner des facilitées pour aller prélever sans que cela ne mette en danger la pérennité de la ressource.
- Quelles sont vos recommandations pour renforcer la coopération entre le Cameroun et l’UE en matière de gestion durable des forêts ?
Dans cette coopération, je suis plus pour une logique dans laquelle il faut plus préserver le dialogue entre les parties avant d’engager quoique ce soit. Il faut tirer des leçons de l’APV-FLEGT pour pouvoir y arriver. Quel que soient les problèmes qui peuvent subvenir, je crois que le dialogue reste la voie qui peut permettre aux deux parties de pouvoir mutualiser leurs forces et leurs énergies pour garantir la durabilité de nos ressources.
- Comment le Cameroun peut-il tirer parti de cette situation pour améliorer sa gouvernance forestière et renforcer son engagement en faveur de la conservation de la biodiversité ?
Je pense que, la gouvernance forestière devrait rester au cœur de la préoccupation du gouvernement camerounais et devrait en principe se doter des outils efficaces qui devraient leur permettre de garantir la durabilité de la ressource et de pouvoir préserver ce qui nous reste encore comme ressources. Comme je l’ai dit plus haut, si nous revenons sur le rapport publié par la WWF qui nous donne clairement de comprendre qu’on a une baisse drastique de la population de la faune sauvage, je crois que ça devrait d’avantage nous interpeler à pouvoir mettre sur pied des mécanismes et des outils qui nous permettront de préserver encore ce qui existe. S’il faut parler des outils ici il faut faire mention des textes et des lois, cela dit, ce qui sont chargés de leur application doivent véritablement être équipés pour qu’ils puissent effectivement travailler à pouvoir appliquer cette loi de façon efficace.
- Comment les récents événements liés à l’APV-FLEGT impactent-ils la perception internationale du Cameroun en matière de gestion forestière ?
Ceux qui liront les motivations qui encouragent la partie européenne à dénoncer l’APV-FLEGT au Cameroun pourront se dire que le Cameroun est un mauvais élève en matière de gouvernance forestière. Maintenant, c’est à la partie camerounaise de pouvoir démontrer le contraire en travaillant pour pouvoir changer cette perception qui est déjà véhiculée à l’échelon internationale.
- Quelles sont les leçons à tirer de cette expérience pour améliorer la coopération entre les pays producteurs de bois tropicaux et les pays consommateurs ?
Comme face à toute situation il faut toujours tirer des leçons. Tout pays producteur de bois devrait comprendre que c’est déjà de notre responsabilité de gérer durablement nos forêts, nous ne devons pas nous comporter comme si après nous il n’y aura plus rien, je préfère le dire sans toutefois m’appuyer sur l’actualité en lien avec l’APV-FLEGT. Donc, il est important de savoir qu’il y a une génération que nous allons laisser, il est de ce fait crucial de se poser la question de savoir : qu’allons-nous léguer à cette génération comme patrimoine ? Devons-nous leur laisser un pays où il n’y a plus rien comme ressources qui pourraient leur permettre de pouvoir développer l’économie de ce pays ? Je crois que l’on devrait d’avantage, dans les pays producteurs, travailler de façon à ce que, ceux qui viendront après nous puisse trouver quelque chose qui leur permette de pouvoir gérer le pays, parce que la contribution du secteur forestier au PIB national n’est pas des moindres, ça restera toujours une source de revenus pour l’État, il ne faut donc pas que cette source-là tarisse avec la génération actuelle.
Interview réalisée par Mireille Siapje
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