Les produits de pêche du pays seront bientôt interdits sur le marché européen.
Au moment où le pays a le plus besoin de trouver un nouveau marché pour écouler sa production halieutique grandissante, il sera bientôt impossible pour le Cameroun de vendre ses produits de pêche en Europe. C’est l’effet du « carton rouge » attribué par la Commission de l’Union Européenne en date du jeudi 05 janvier 2023. Une sanction qui, selon le communiqué de ladite commission, implique que les États de l’Union Européenne refuseront tous les produits issus de la pêche au Cameroun et même ceux ayant des certificats de capture validés par les autorités nationales.
Cette décision fait suite au « carton jaune », un rappel à l’ordre émis en février 2021 dans le but d’obtenir de l’État du Cameroun, l’élaboration de mesures plus fiables de prévention et de lutte contre la pêche INN et l’attribution du pavillon camerounais à des navires qui enregistrent déjà des antécédents de pêche illégale.
Les motifs de la sanction.
Le Commissaire européen à la pêche, Virginijus Sinkervicius, reproche aux autorités de Yaoundé de n’avoir rien fait depuis un an pour freiner la pêche illicite. Selon lui, le Cameroun a même « continué à enregistrer des navires de pêche opérant en dehors de ses eaux sans que leurs activités ne fassent l’objet d’un quelconque suivi ». Ce phénomène est appelé « Pavillon de complaisance » c’est le fait pour un État d’enregistrer à sa flotte, des navires d’origine et opérant dans des eaux étrangères sans réelle enquête préalable sur ces derniers. Il s’avère que ces dernières années le Cameroun a enregistré plusieurs navires aux antécédents de pêche INN. Selon les recherches de Maurice Beseng de l’université de Sheffield (Royaume-Uni), 70 vaisseaux de pêche industriels étaient actifs au Cameroun en 2021, la plupart chinois ou nigérians. Des navires réputés pour leur activité dans des zones réservées à la pêche artisanale. De telles pratiques conduisent à une surexploitation endémique et à la destruction des écosystèmes marins tout en ternissant la réputation du pavillon camerounais. En 2017, le gouvernement du Cameroun a estimé le coût total de la pêche illégale à 33 millions de dollars par an, ce qui représente un manque à gagner net pour l’économie du pays.
Les conséquences des restrictions
Selon la FAO, l’activité de pêche au Cameroun emploie près de 200.000 personnes et génère un revenu global de 119,4 milliards de FCFA par an. Le secteur est en plein essor. Entre janvier et octobre 2021, l’on a enregistré une masse d’exportation de plus de 102,5 tonnes de crevettes vers la Malaisie. Au vu de ces chiffres, l’Organisation des États de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) se propose d’aider le Cameroun à développer ce secteur afin de pouvoir intégrer le marché de l’Union Européenne. Pour y arriver, en plus des mesures de lutte contre la pêche INN, le pays devra se doter d’infrastructures de qualité, notamment des laboratoires d’analyse, pour le contrôle de la production selon les standards en la matière.
De plus, dans le cadre du projet fish4acp, qui vise à valoriser le potentiel de la pêche et de l’aquaculture en Afrique, dans les Caraïbes et le Pacifique, le Cameroun bénéficie d’un soutien à sa chaîne de valeur de la pêche crevettière. En effet, ce secteur souffre de plusieurs maux : financements limités, cherté du carburant, mauvaise qualité de la glace destinée à la conservation des crevettes, mauvaise structuration du circuit de production, non-conformité aux règles d’hygiène, etc. En 2021, le Cameroun a produit environ 400 tonnes de crevettes (les espèces de grande taille Penaeus monodon ou gambas, Penaeus notialis ou crevettes roses, Parapenaeopsis atlantica ou crevette grise et Penaeus Kerathurus crevette tigrée ont été analysées en raison de leur potentiel élevé à l’exportation). Exclure le Cameroun des pays autorisés à exporter leur production halieutique vers l’Europe représenterait un énorme manque à gagner à l’économie du pays.
Vers une sortie de la crise.
Pour remédier au problème, AMMCO en collaboration avec le ministère de l’Elevage, des pêches et de l’industrie animales (MINEPIA) et Environmental justice foundation (EJF), a lancé un projet conjoint intitulé : « Stop IUU fishing in Cameroon » grâce au soutien d’OCEANS 5. Le projet est mis en œuvre en collaboration avec d’autres institutions telles que ; Global Fishing Watch (GFW), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le ministère des Transports (MINT) et la Marine nationale. Le lancement du projet a eu lieu en juin 2022 et se déroulera sur une période de trois ans. L’on enregistre déjà des actions de plaidoyer et de sensibilisation impliquant les communautés de pêcheurs dans la lutte contre la pêche INN, des réunions de consultation pour la révision de la loi camerounaise régissant la pêche et l’aquaculture et un état des lieux de la flotte de pêche camerounaise réalisé par EJF.
« Pour améliorer la gouvernance en matière de gestion de la flotte camerounaise, un cadre de collaboration est en préparation entre le MINT et le MINEPIA et sera signé en février 2023», affirme Morgan NIGON, coordonnatrice du projet « Stop IUU fishing in Cameroon ». À terme, le Cameroun pourra lutter efficacement contre la pêche INN grâce à une meilleure gouvernance des pêches, un cadre juridique et des systèmes de contrôle, et contribuera également à la gestion durable de ses ressources marines de la sous-région.
Goupillée par R.T